vendredi 7 juin 2019

Le bruissement des feuilles



[...] Miki adorait les arbres et les oiseaux mais, ce qu'elle préférait le plus au monde était invisible : c'était ce qu'elle ressentait dans la forêt. L'odeur du bush après la pluie. Le craquement de l'écorce. Le grincement des branches. L'impression de quiétude et d'intemporalité, la croissance et le renouveau. L'aura des arbres. Le sentiment que tout est connecté. A sa place. Elle aurait pu rester là toute la journée, à respirer en rythme avec l'arbre, à inspirer la vie qu'il insufflait.


@She reads a book - Photo non libre de droit





Auteur : Karen Viggers
Traducteur : Aude Carlier

Titre original : The Orchardist's Daughter

Editeur : Les Escales
Romans - Australie - Tasmanie - Nature - Environnement - Ecologie - Faune - Flore - Violences morales - Famille - Amitié 
Pages : 432
Parution : 11 avril 2019
Merci à l'Agence Anne et Arnaud pour cette lecture






Synopsis : 

Miki, dix-sept ans, vit coupée du monde depuis l'incendie qui a coûté la vie à ses parents. Sous le joug de son frère Kurt, un chrétien fondamentaliste, elle travaille comme serveuse dans leur restaurant et le soir, se rêve en héroïne de romans. Lors d'une escapade secrète en forêt, elle fait la rencontre de Leon, un garde forestier tout juste installé en Tasmanie. Les deux jeunes gens se donnent alors une mission extraordinaire : sauver les diables de Tasmanie de l'extinction. 
Au cœur de paysages somptueux, le combat inoubliable d'une jeune fille pour protéger la nature et se sauver elle-même. 
Karen Viggers revient avec un grand roman, véritable hommage aux beautés naturelles de l'Australie, et nous livre une formidable histoire d'amitié et de solidarité. 




Depuis toute petite, Miki a toujours travaillé. A la ferme, avec sa mère, elle se partageait les tâches ménagères. Elle a toujours vécu recluse, dans cette petite ville de Tasmanie, dans une ferme éloignée. Elle n'a jamais été à l'école en raison de certaines croyances de ses parents, ses leçons étant données à la ferme par sa mère. Un isolement pesant pour Miki, mais malgré une certaine souffrance, elle n'a jamais manqué de rien. Elle a travaillé dur tout le temps entre ses leçons et les tâches ménagères. A l'époque, elle ne vivait que pour les dimanches car ce jour là, après les besognes, elle troquait sa jupe pour une salopette et filait en forêt, toujours accompagnée de son frère. En forêt, elle éprouvait à chaque fois un sentiment de légèreté, de bonheur. Elle adorait écouter le bruissement des feuilles, le grincement du bois, le murmure du vent dans la canopée, le craquement des brindilles sous ses pieds, l'odeur mentholée des buissons. Alors, la semaine de travail difficile s'effaçait et les règles sévères de son père disparaissait.

Un événement inattendu va briser le quotidien de Miki et sa famille.

A presque 18 ans maintenant, elle vit avec son frère Kurt au cœur même du village où ils ont grandi. Ils ont un modeste commerce, un snack restaurant et vente de bonbons et souvenirs. Mais Miki vit tout autant recluse qu'à la ferme. Elle aspirait à davantage de responsabilités, de libertés, seulement Kurt a construit un échafaudage de règles à respecter autour d'elle. Elle doit en effet limiter au maximum les échanges avec les clients, éviter de les regarder dans les yeux, et garder la tête basse sans cesser de travailler. Kurt s'assurait qu'elle soit toujours occupée, si bien qu'elle ne pouvait souffler que lorsqu’il quittait la pièce. Avec ses dix ans de plus qu'elle, il était son tuteur, et c'était lui qui commandait.

La plupart du temps, travailler au restaurant ne dérange pas Miki, elle avait appris à accepter ses conditions de vie. Mais en règle générale, elle se sent beaucoup trop confinée, en manque d'air et de lumière. Oui, car Miki n'a pas le droit de sortir du commerce où elle travaille et vit avec son frère. Kurt l'enferme à double tour lorsqu'il doit quitter les lieux. Elle n'a le droit de sortir que lorsque son frère l'emmène avec lui, le lundi jour de repos, pour l'accompagner en forêt où il relève leurs ruches et part chasser. Ces lundis-là, Miki est aux anges, enfin elle peut respirer l'air pur et voir la forêt qu'elle aime tant et entendre le bruissement des feuilles.

Lorsqu'ils arrivent en forêt, son frère la laisse toujours seule à côté du 4x4. Il lui ordonne de ne pas s'éloigner, de ne pas le suivre non plus, partant seul avec son fusil. Miki est endoctrinée par son frère, elle doit suivre continuellement ses consignes de vie, et ne cherche pas à en déroger de peur des réactions de Kurt.

Même lire, Kurt lui interdit de le faire. Mais Miki a réussi à sauver et cacher 3 livres qui appartenaient à sa mère. Il n'a jamais su que Miki les avaient avec elle. Trois romans qu'elle adore, avec des héroïnes différentes. Elle les aimait chacune à leur façon et enviait leur vie fascinante. Admirait l'intégrité de Jane Eyre, la douceur de Tess, la passion de Cathy pour la lande des Hauts de Hurlevent. Elle enviait à Jane Eyre sa liberté d'aller à l'école et sa carrière de professeure. Elle aspirait, comme ses héroïnes, à voir le monde, rencontrer des gens, connaître l'amour... et ne plus devoir faire attention à sa façon d'agir auprès de Kurt. Si Kurt pouvait la maintenir enfermée à la boutique la majeure partie du temps, il ne pouvait pas contrôler où son esprit allait se perdre.

Lorsque Miki va rencontrer Léon, le nouveau garde forestier qui vient de s'installer, certaines choses vont commencer à changer pour elle. Une rencontre qu'elle va devoir garder secrète à son frère, il ne doit jamais découvrir son amitié avec Léon et son combat pour la sauvegarde des diables de Tasmanie. 

Léon est issu d'une famille de bûcherons, et il n'est pas le bienvenu dans cette petite bourgade de Tasmanie. Son métier de garde forestier ne plaît pas, et il est vite pris en grippe. Ici, il y a plus de bûcherons qui coupent les arbres à la machine, voir au bulldozer. On ne s'inquiète pas de savoir non plus si tel ou tel arbre est millénaire. On coupe. Alors le poste de garde forestier qu'occupe Léon n'est pas le bienvenu. Il va devoir essuyer coups de crasse sur coups de crasse, pourtant il ne lésine pas sur les efforts pour se faire accepter. Il n'y a que le fils des voisins, Max, qui apprécie Léon dès son arrivée. Max a 10 ans, et se lie rapidement d'amitié avec Léon, très certainement une figure fraternelle sympathique pour Max toujours enguirlandé et rabaissé par son père. Un p'tit gars que Léon apprécie, il aime sa franchise, son innocence d'enfant, sa bienveillance envers les animaux. Mais Léon va vite s’apercevoir que quelque chose cloche avec Max car son comportement va vite changer.,,

Miki, tout comme Léon, ne se sent bien qu'en forêt, entendre les oiseaux, ressentir les odeurs du bush après la pluie, le craquement de l'écorce, l'impression de quiétude... l'aura des arbres. Miki, Léon, pouvaient rester en pleine nature pendant des heures. Ils vont se découvrir par hasard un autre point commun, la défense des diables de Tasmanie en voie d'extinction.

Kurt est trop souvent furtif sur ce qu'il fait. Miki n'a le droit de ne rien s'avoir sur les faits et gestes de son frère. Elle n'a pas le droit de savoir pourquoi il s'absente tous les lundis soirs pour ne revenir que le lendemain par exemple. Elle n'a pas l'accès autorisé à certaines pièces de leur logement, fermées à double tour par son frère. Elle n'a pas le droit non plus de savoir ce qu'il cache dans la pochette en cuir noir qui appartenait à leur père et que Kurt garde toujours sur lui. Elle n'a pas le droit non plus de savoir pourquoi ils ne voyaient ni amis ni membres de la famille et cela depuis leur enfance à la ferme. N'ont-ils jamais eu d'oncles, de tantes, de parents éloignés ? Et pourquoi n'a t-elle pas le droit de sortir toute seule ? Et d'ici combien de temps auront-ils assez d'argent pour acheter leur propre ferme comme lui a tant fait espérer Kurt ? Tant de questions qui la ronge.
Les points communs avec Léon vont faire connaître à Miki des nouveaux événements. Mais elle va devoir batailler pour découvrir les aspects cachés de la vie de son frère et batailler pour s'ouvrir à elle-même, et ne plus laisser son esprit cloîtré tout autant que l'est son corps...
Quelle histoire merveilleuse, touchante !

Ce dernier roman de la talentueuse auteure australienne est un bel hommage à la faune et la flore de la Tasmanie. L'environnement, les forêts anciennes, la faune australienne prennent une part importante au roman. Je me suis sentie dépaysée d'ailleurs lors de ces moments passés avec les personnages dans ces forêts de Tasmanie, et dans ce combat pour la sauvegarde des diables de Tasmanie. C'est aussi une histoire d'appartenance d'australiens qui se battent pour la survie de leur faune et de leur flore, de leur histoire en quelque sorte. Ce livre m'a happée du début à la fin et a réussi à me fasciner sur bien des points.

D'ailleurs, points importants et qui apportent beaucoup au roman, Karen Viggers aborde différents aspects de débats sur les exploitations forestières, la déforestation de forêts australiennes par des machines destructrices. Mais aussi, à l'inverse, aborde la conservation d'arbres millénaires à garder et à promouvoir pour se souvenir et garder intacte l'histoire de la Tasmanie. Elle aborde également le problème de la sauvegarde des diables de Tasmanie atteints d'une maladie les tuant petits à petits car transmissible entre eux. On sent qu'elle a mené en profondeur ses recherches pour fournir les sujets qui sont abordés dans son roman, et qui, on le ressent, lui tiennent à coeur. Des recherches abouties au vu des larges explications romancées. Elle nous fait ressentir tout son amour pour la Tasmanie, pour les forêts et la faune endémique de la région, et aborde les problèmes sur l'exploitation forestière et ses techniques de déboisage, ainsi que la préservation de l'environnement. C'est extrêmement bien mené et intéressant pour le lecteur car elle apporte différents points de vue entres les communautés qui voient d'un regard divergeant les problématiques.

Autre point abordé par l'auteure et très approfondi ici aussi, les violences domestiques et surtout psychologiques d'un frère envers sa soeur. Un frère qui joue énormément sur l'intimidation et la soumission, qui maintient enfermée sa soeur. Jeune femme, encore dans l'adolescence, mais contrainte au silence et aux règles imposées par son frère. Ses seules évasions se font les lundis, seul jour de la semaine où elle a le droit de sortie, toujours accompagnée par son frère, mais au moins droit de pouvoir respirer l'air pur. Une évasion qu'elle apprécie grandement, au coeur de la forêt, lieu le plus cher à son coeur. Entendre les arbres, sentir leur aura, est son seul plaisir. 
Non, elle a un deuxième plaisir caché, celui de s'évader grâce aux livres. Elle n'en possède que trois pourtant, ceux qu'elle a caché pour ne pas que son frère les lui retire. Karen Viggers a en effet alimenté le quotidien de Miki grâce à des romans classiques, avec un choix d'héroïnes qui embarquent Miki dans des envies et plaisirs la maintenant éveillée et qui ne lui font pas perdre espoir. 

Miki, un personnage auquel on s'attache et que l'on a envie de soutenir face à ce frère tyrannique. Il y a deux autres personnages très touchants également. Celui de Léon, nouvel arrivant et pris en grippe par les hommes de cette bourgade australienne. Un garde forestier face à des bûcherons. Un homme qui espère prendre un nouveau départ, fière de ses convictions pour la protection de la nature et on ne peut que l'apprécier pour cela. Un homme touchant face à un grand-père qu'il apprend à connaître, et face à une situation délicate vis à vis de ses parents. Un homme touchant également face à un petit bonhomme de 10 ans, Max, son nouveau voisin qu'il va vite connaître et avec qui il va nouer des attaches de bienveillance et fraternelles. 
Max, 10 ans, est en effet le 3ème personnage pour qui on se prend d'attache et que l'on a énormément envie de soutenir dans cette vie difficile d'enfant qu'il a... Plus le roman avance, plus on découvre ce qu'il se passe autour de lui... Des moments touchants, une situation que je ne dévoilerai pas pour ne rien spoiler. 

La lecture du roman se déroule parfaitement grâce aux rebondissements qui viennent alimenter les énigmes, elle en devient même addictive car difficile de lâcher le livre lors d'événements essentiels où situations délicates pour nos trois héros. 

J'ai beaucoup aimé également le style de l'auteure dans l'écriture de son roman car elle a utilisé trois courants narratifs entre Miki, Léon et Max selon les chapitres apportant du coup énormément dans leurs façons de voir, de ressentir les choses mais aussi dans leurs vies privées à chacun. Car même si il y a l'histoire d'un village, d'habitants de Tasmanie, il y a 3 histoires et 3 énigmes autour de Miki, Léon et Max. 

Petit à petit, les rebondissements amènent des réponses à nos questions. Le lecteur reste du coup suspendu aux mots de Karen Viggers tout au long du roman. Et des mots magnifiques je dois dire. Des mots touchants, délicats, vrais, mais aussi poétiques. Autant sur le sujet de la protection de la faune et de la flore de Tasmanie et on ressent tout son amour pour cela, autant sur le sujet délicat des violences morales multiples au sein du roman. 

Un roman qui m'a fascinée et que je recommande sans aucune réserve. Des thèmes percutants et emplis d'émotions. Et une ode à la nature avec une richesse dans les descriptions offertes par Karen Viggers sur la faune et la flore de Tasmanie... 


4 commentaires:

  1. Tu donnes envie de découvrir cette partie du monde avec ce roman.

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    1. C'est une belle ode à la nature de cette région d'australie, et puis une histoire remarquable mêlant des thèmes forts

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  2. Je ne connaissais ni le livre, ni l'autrice. Merci pour la découverte. Les romans se passant en Australie me plaisent bien.

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  3. Ça a l'air d'être une jolie histoire, et en plus j'ai très peu lu de romans dans ce coin du monde, donc je suis assez tentée !

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Merci de votre passage sur le blog !